Du millième au millésime

Sur ce col d’amphore gallo-romaine appartenant à la collection de Lugdunum on lit : Amin(eum) /vet(us) usib(us) Iu(lius) Adiutoris: «vieil aminée destiné à Iulius Adiutor». L’aminée est un cépage célèbre de l’Antiquité, originaire de Campanie et cultivé en Gaule. Aucune indication de la date de production ne figure, mais l’amphore est datée du 2e ou 3e siècle.

Le terme millésime est aujourd’hui incontournable dans l’univers du vin. Il désigne l’année de récolte des raisins, une donnée qui reflète les conditions climatiques uniques ayant influencé leur maturation: un ensoleillement abondant, des pluies modérées, ou des événements climatiques extrêmes. Ces variations modifient la qualité et le caractère des vins produits. Le mot millésime vient du latin millesimus signifiant «millième». Mais comment ce mot est-il passé d’un sens purement numérique à la désignation d’une année spécifique?

Dans la Rome antique, millesimus était utilisé pour exprimer une fraction (la millième partie d’un tout), comme en témoigne Cicéron (millesimum dans Atticus 12, 5, 1, «pour la millième fois») ou Sénèque, qui évoque la millesima usura, un taux d’intérêt à un pour mille par mois (Ira, 3, 33, 3). Cette précision dans le décompte reflétait le souci d’exactitude propre aux contextes financiers, juridiques ou administratifs romains. Toutefois, le terme ne désignait pas une unité de mesure spécifique, mais il incarnait une idée de subdivision rigoureuse, essentielle aux pratiques de gestion romaines. Cette idée de décompte minutieux constitue le fil conducteur qui relie le sens antique à ses usages modernes.

À la Renaissance, les États européens consolident leurs structures administratives et financières. Les monnaies, en tant que symbole de souveraineté et de stabilité économique, deviennent des outils essentiels pour affirmer l’autorité du pouvoir central. C’est dans ce contexte qu’apparaît, sous le règne de François Ier (1515-1547), l’indication de l’année de frappe sur les monnaies en France. Son successeur, le roi Henri II, l’impose en 1549 par ordonnance, afin de faciliter la gestion et le contrôle de la production monétaire.

Ecu d’or d’Henri II portant la date de 1549.

En France, c’est ainsi que le terme millésime en vint à désigner les chiffres gravés sur les pièces ou médailles, indiquant l’année de leur frappe. On est alors passé du sens numérique du millesimus latin à la désignation d’une année spécifique dans le cours du temps. Ce qui lie les deux sens c’est l’idée d’un décompte précis. Dans l’Antiquité, les monnaies étaient déjà souvent associées à un souverain ou à un événement particulier, introduisant ainsi une forme de chronologie numismatique, mais sans référence à une numérotation des années.

Un peu plus tard, au 17e siècle, le mot millésime est aussi utilisé dans le domaine viticole pour indiquer l’année de récolte des raisins, c’est-à-dire la «naissance» d’un vin. L’utilisation de ce terme se généralise progressivement, avec le développement du marché du vin de qualité, à l’exception de certaines productions spécifiques comme le Champagne.

Le mot hérité du latin millesimus ne s’est cependant pas imposé dans toutes les langues modernes.

En italien, par exemple, millesimo conserve son sens originel de «millième» et n’est pas utilisé pour désigner l’année d’un vin. Pour cela, on emploie le mot annata (année), tandis que l’expression vino millesimato (vin millésimé) indique un vin issu d’une seule récolte.

En anglais, millésime se traduit par vintage, mot dont l’usage s’est lui-même étendu pour désigner tout objet ancien.  Vintage remonte au début du 15e siècle et dérive du français «vendange», lui-même issu du latin vindemia, composé de vinum, grappe/vin, et demere, enlever/retirer.

Comme on peut le voir, on n’échappe pas si facilement à l’influence du latin.


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