Tout le monde connaît la citation de Juvénal: Panem et circenses (du pain des jeux). On connaît moins celle de Sénèque: Pulte, non pane, vixisse longo tempore Romanos manifestum (de bouillies et non de pain, longtemps les Romains vécurent). Toutes deux pourtant sont une porte d’entrée dans le monde romain et de sa relation avec le pain. Ainsi qu’une critique de son mode de vie, mais c’est un autre débat.

Venu de Grèce, le pain ne se répand à Rome qu’à partir du Ve siècle avant notre ère. Auparavant, c’était bouillie pour toutes et tous! Trois siècles plus tard, la boulangerie se professionnalise et une corporation se crée. A l’époque de l’empereur Auguste, soit vers la fin du Ier siècle avant notre ère, Rome comptait plus de trois cent boulangeries. Et à Pompéi, ensevelie par les cendres du Vésuve en l’an 79, on en a déterré une trentaine.
Etre boulanger, c’était à la fois la certitude de jouir d’une reconnaissance sociale, mais également la nécessité d’accepter un lot de contraintes édictées par les autorités politiques et la corporation. Ainsi, on était boulanger de père en fils, sans échappatoire. Et l’époux d’une fille de boulanger devait promettre de s’engager pour cinq ans à pétrir du pain. Mais bon, cela pouvait en valoir la peine si on se réfère au mausolée que les habitants de l’Urbs ont consacré au boulanger grec Marcus Vergilius Eurysacès. Il se trouve près de la Porta Maggiore et des bas-reliefs décrivent des scènes de fabrication du pain.
Le pain était une chose, l’acheminement des céréales en était une autre. Rome importait chaque année plusieurs centaines de milliers de tonnes de céréales de toutes sortes : millet, orge, épeautre, blé, etc. Le port d’Ostie était le centre névralgique de ce commerce, extrêmement contrôlé par l’Etat. D’ailleurs, et on revient à Juvénal, ce même Etat distribuait gratuitement les céréales destinées à la fabrication de pain aux couches défavorisées de la population. Jules César réduisit le nombre de bénéficiaires les faisant passer de 320’000 à 150’000, alors qu’Auguste les ramena à 200’000, soit 20% de la population totale estimée de la capitale de son empire.
Reste une question: ce pain était-il bon? Eh bien, ça dépend! Il y a une sorte de romantisme qui vante les différents types et multiples recettes de pain: noir pour les pauvres, blanc pour les riches, parfumé au miel, réalisé avec du lait, etc. Pas complètement faux, sans doute, mais l’historienne Danielle Gourevitch, n’hésite pas à casser l’ambiance. Dans son article Le pain des Romains à l’apogée de l’Empire. Bilan entomo- et botano-archéologique, elle conclut : «Non seulement le pain des Romains n’était en général pas bon, mais il était souvent toxique.» Insectes, parasites, humidité, fermentation, rongeurs: les fléaux qui frappaient les céréales étaient nombreux. Sauf peut-être à Rome même, parce que l’approvisionnement y était constant et qu’il fallait éviter de mécontenter le peuple. Du pain et des jeux, on vous le disait.
Sources:
- Le pain romain. La cuisson, la mouture, quelques recettes, Werner Hürbin (avec la collaboration de Marianne Bavaud, Stefanie Jacomet et Urs Berger), Musée d’Augusta Raurica.
- Pain sous la Rome antique, article de Wikipédia, consulté le 3.12.2021
- Panem et circenses, article de Wikipédia (en italien), consulté le 3.12.2021
- «Le pain des Romains à l’apogée de l’Empire. Bilan entomo- et botano-archéologique», Danielle Gourevitch, 2005.
- «un million de bouches à nourrir!», Catherine Virlouvet, L’Histoire, mensuel 234, 1999.
Bonus vidéo:
- Une recette de pain romain réalisée par le chef étoilé Giorgio Locatelli
D’autres articles du blog de l’association Nunc est bibendum