L’hydromel, de la purge à la lune de miel

L’hydromel est considéré comme la boisson alcoolisée la plus ancienne de l’histoire de l’humanité (Photo Wikimedia).

Aux environs de l’an 330 avant notre ère, l’astronome et explorateur grec Pythéas quitte sa ville natale de Massalia (Marseille), peut-être sur demande d’Alexandre le Grand, pour explorer par mer les territoires les plus au nord qu’il puisse trouver. En chemin, il décrit une boisson faite à base de céréales et de miel, semblable à l’hydromel. C’est également à cette période que le philosophe Aristote, précepteur du même Alexandre, aurait écrit la recette de l’hydromel façon méditerranéenne, soit à base d’eau et de miel uniquement, qu’on laissait fermenter.

Si la deuxième moitié du 4e siècle avant notre ère semble donc le moment où l’hydromel se popularise dans le monde gréco-romain, on trouve des traces de ce breuvage en Chine il y a environ 10’000 ans et en Egypte il y a plus de 4’500 ans. Plus universel que le vin, puisqu’on en trouve des traces sur tous les continents et à peu près sous toutes les latitudes, l’hydromel est considéré comme la boisson alcoolisée la plus ancienne de l’histoire de l’humanité, bien avant la bière.

40 jours sous le cagnard

Les textes de Pythéas et d’Aristote mentionnant l’hydromel ne nous étant pas parvenus, il faut attendre l’agronome Columelle et le naturaliste Pline l’ancien –au 1er siècle de notre ère– pour avoir les premières recettes écrites. Voici celle de Pline, très proche de celle de Columelle:

«On fait aussi du vin avec de l’eau et du miel seulement. On recommande de conserver pour cet objet pendant cinq ans de l’eau de pluie. Des gens experts se contentent, dés qu’elle est tombée, de la faire bouillir jusqu’à réduction d’un tiers; et ils ajoutent un tiers de miel vieux ; puis ils tiennent ce mélange au soleil pendant quarante jours, à partir du lever de la Canicule. D’autres le soutirent au bout de dix jours, et bouchent les vases. On nomme cette boisson hydromel, et avec le temps elle prend le goût de vin; le meilleur hydromel est celui de Phrygie.»[1]

«Meilleur», cela signifie-t-il bon pour nos habitudes gustatives contemporaines? Pas sûr!

Voici l’avis d’experts du breuvage sur un site internet ayant pour objectif de promouvoir sa fabrication: «A travers toutes les recettes qui nous sont restées, le thème est récurrent: nos aïeux fabriquaient leur hydromel avec une méthode qui a toutes les chances de donner un hydromel imbuvable par nos standards aujourd’hui:

  • La fermentation à une chaleur très élevée (quarante jours au soleil au plus fort de l’été) créerait des arômes fermentaires identifiés comme des défauts, notamment des alcools de fusels, qui peuvent donner des saveurs de dissolvant.
  • La durée d’exposition à l’air très longue causerait vraisemblablement une oxydation de l’hydromel très poussée, ce qui crée des arômes boisés, de noix très puissants, et qui diminue généralement la complexité aromatique du breuvage, atténuant le miel.»[2]

Bref, une vraie purge.

Assurer une descendance

Diodore de Sicile est un historien grec du Ier siècle av. J.-C., contemporain de Jules César et d’Auguste. Il est l’auteur de la Bibliothèque historique, une monumentale histoire universelle.

D’ailleurs, dans son livre XXIII, celui qui traite des remèdes tirés des arbres fruités, Pline évoque à différentes reprises les vertus médicinales de l’hydromel comme liquide pour y faire macérer le principe actif d’une plante, dont celle-ci:

«De la même manière, le daphnoides (laurier sauvage), ou sous les autres noms que nous avons mentionnés, est bénéfique. Il agit comme un laxatif, que ce soit sous forme de feuilles fraîches ou sèches, à raison de trois drachmes (environ 11 g), mélangées avec du sel et de l’hydromel dilué (…)»[3]

Si l’hydromel était plutôt réservé aux cérémonies religieuses, aux jours de fêtes ou comme médicament chez les Romains, il semble avoir été une boisson courante dans de nombreuses autres régions. Les légendes, la mythologie et les traces historiques situent bien sûr le cœur de la consommation de l’hydromel au nord de l’Europe, là où la vigne était inexistante[4]. Mais pas seulement. L’historien grec du 1er siècle avant notre ère Diodore de Sicile rapporte dans sa Bibliothèque historique:

«Quant à leurs mœurs, les Celtibériens[5] sont très cruels à l’égard des malfaiteurs et des ennemis; mais ils sont généreux et humains envers leurs hôtes. Ils hébergent avec plaisir les étrangers qui voyagent dans leur pays, mais ils rivalisent à qui leur donnera l’hospitalité, louent ceux que les étrangers accompagnent, et les regardent comme chéris des dieux. Ils se nourrissent de toutes sortes de viandes en abondance; l’hydromel est leur boisson, car le pays est très riche en miel; ils achètent le vin que les marchands leur apportent par mer.»[6]

Diodore évoque également l’hydromel lors d’une fête en l’honneur d’Hemithée, petite-fille de Dionysos, dans la ville de Castabus dans le sud de l’Anatolie. Mais ici un doute subsiste. Compte tenu du mythe qui entoure Emithée il est possible qu’il s’agisse-là de vin miellé: ses sœurs et elle se seraient endormies au lieu de surveiller des amphores remplies de vin, entraînant les foudres de leur père, avant d’être sauvées par Apollon.

Terminons par une touche de romantisme, relative à une légende que l’on retrouve un peu partout Europe, mais aussi en Egypte, sans qu’elle soit véritablement sourcée. Elle concerne les jeunes mariés. Ceux-ci devaient consommer durant le mois suivant leur union, c’est-à-dire pendant un cycle lunaire, exclusivement de l’hydromel, aux vertus fortifiantes et aphrodisiaques supposées, donc à même de leur assurer une descendance. Il n’en fallait pas davantage pour que naisse l’expression «lune de miel».

[1] Pline l’ancien, Histoire naturelle livre 14, XX (XVII): Fit vinum et ex aqua ac melle tantum. Quinquennio ad hoc servari caelestem iubent. Alii prudentiores statim ad tertias partes decocunt et tertiam veteris mellis adiciunt, dein XL diebus canis ortu in sole habent. Alii diffusa ita decimo die obturant. Hoc vocatur hydromeli et vetustate saporem vini adsequitur, nusquam laudatius quam in Phrygia.

[2] Hydromel Wiki: L’hydromel, plus vieille boisson alcoolisée de l’humanité?

[3] Pline l’Ancien, Histoire naturelle, livre 23, XXIX: Eodem modo pota daphnoides sive iis nominibus, quae diximus, silvestris laurus prodest, alvum solvit vel recenti folio vel arido drachmis III cum sale inhydromelite (…)

[4] Jacques André, L’Alimentation et la cuisine à Rome, Les Belles Lettres, Paris, 2018, p. 175.

[5] Population celtisée située au nord et à l’est de la péninsule ibérique.

[6] Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, Tome premier, livre V: [34] τοῖς δ´ ἤθεσι πρὸς μὲν τοὺς κακούργους καὶ πολεμίους ὑπάρχουσιν ὠμοί, πρὸς δὲ τοὺς ξένους ἐπιεικεῖς καὶ φιλάνθρωποι. Τοὺς γὰρ ἐπιδημήσαντας ξένους ἅπαντες ἀξιοῦσι παρ´ αὑτοῖς ποιεῖσθαι τὰς καταλύσεις καὶ πρὸς ἀλλήλους ἁμιλλῶνται περὶ τῆς φιλοξενίας· οἷς δ´ ἂν οἱ ξένοι συνακολουθήσωσι, τούτους ἐπαινοῦσι καὶ θεοφιλεῖς ἡγοῦνται. Τροφαῖς δὲ χρῶνται κρέασι παντοδαποῖς καὶ δαψιλέσι καὶ οἰνομέλιτος πόματι, χορηγούσης τῆς χώρας τὸ μὲν μέλι παμπληθές, τὸν δ´ οἶνον παρὰ τῶν ἐπιπλεόντων ἐμπόρων ὠνούμενοι.


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