In vino veritas… lorsque le vin entre, le secret sort

Scène de banquet. Fragment d’un kylix attique à figures rouges, v. 480 av. J.-C. (photo Wikimedia commons).

Pour fêter la fin du dry January, arrêtons-nous sur l’expression latine encore souvent employée In vino veritas: «Dans le vin, la vérité».

Elle est attribuée à Pline, mais on oublie souvent le contexte…

En effet Pline l’ancien adopte bien la phrase en tant que proverbe, mais son discours tient plutôt d’un avertissement sur les dangers de l’alcool:

Un proverbe a attribué la vérité au vin. Échappât-il à ces dangers, le buveur ne voit pas le soleil se lever, et vit moins longtemps. De là cette pâleur, ces paupières pendantes, ces yeux éraillés, ces mains tremblantes qui laissent échapper les vases pleins, ce sommeil troublé par les Furies, qui est la punition Immédiate, cette agitation nocturne, et, récompense suprême de l’ivrognerie, les débauches monstrueuses et le goût des horreurs. Le lendemain, l’haleine a l’odeur d’un tonneau; presque tout est oublié, et la mémoire est morte.[1]

D’où vient cette phrase? 

Selon la tradition l’expression d’origine en grec, Ἐν οἴνῳ ἀλήθεια, aurait été forgée par Alcée de Mytilène, compagnon de Sapho la poétesse, et reprise par d’Athénée de Naucratis dans son Déipnosophiste.

Cette maxime est liée à la pratique du συμπόσιον, de σύν («ensemble») et πίνω («boire»).  Boire ensemble signifiait aussi discuter savamment sur des thèmes variés. L’alcool délie les langues,  lève les inhibitions, libère la parole.

Cette tradition du banquet était pratiquée par Alexandre le Grand qui s’en servait comme une arme politique, et qui modérait sa consommation de vin:

Il fut aussi moins sujet au vin qu’on ne l’a cru; il en eut la réputation, parce qu’il restait longtemps à table, mais c’était moins pour boire que pour discourir. Chaque fois qu’il buvait, il proposait quelque question à traiter d’une assez longue étendue, et ne prolongeait ainsi ses repas que lorsqu’il avait beaucoup de loisir. Mais quand il fallait s’occuper des affaires, jamais ni le vin, ni le sommeil, ni le jeu, ni l’amour même le plus légitime, ni le plus beau spectacle, rien enfin ne pouvait le retenir et lui enlever un temps précieux, comme il est arrivé à tant d’autres capitaines.[2]

Penchons-nous sur l’expression grecque:

  • οἴνῳ (au datif après la préposition ἐν), le vin,  a donné en français: œnologue, œnologie.
  • ἀλήθεια, la vérité, est dérivé de ἀληθής / alêthés («vrai, sincère»),  c’est-à-dire «non caché», de ἀ- / a-. préfixe privatif, et de λήθω / lêthô («se cacher, s’échapper»).

Le saviez-vous? Le mot  Λήθη / Léthé («oubli, ce qui échappe à la mémoire») dérive du même verbe. Le mot est connu  dans l’expression figurée «Boire de l’eau du Léthé», qui veut dire «oublier», «perdre la mémoire du passé», par allusion au fleuve des Enfers,  où, selon la mythologie grecque, les ombres des morts allaient boire pour oublier leur vie passée.

La maxime a traversé la culture et les frontières.  En chinois on lit «Après le vin (de riz), on a la parole vraie». On trouve dans le Talmud babylonien écrit en hébreu «Lorsque le vin entre, le secret sort».

Rabelais, au 16e siècle, l’a paraphrasée: «Le jus de la vigne clarifie l’esprit et l’entendement, apaise l’ire, chasse la tristesse et donne joie et liesse.»

Que faut-il retenir? Comme Alexandre: qu’un peu de vin délie les langues, mais que pour conquérir il vaut mieux ne pas en abuser.

[1] Pline l’Ancien, Histoire naturelle, livre 14, 28: Vulgoque veritas jam attributa vino est. Interea, ut optime cedat, solem orientem non vident, ac minus diu vivunt. Hinc pallor, et genæ pendulæ, oculorum hulcera, tremulæ manus effundentes plena vasa, et (quæ sit pœna præsens) furiales somni, inquies nocturna, præmiumque summum ebrietatis libido portentosa, ac jucundum nefas. Postera die ex ore balitus cadi, ac fere rerum omnium oblivio, morsque memoriæ.

[2] Plutarque, Vie d’Alexandre, 23: Ἦν δὲ καὶ πρὸς οἶνον ἧττον ἢ ἐδόκει καταφερής, ἔδοξε δὲ διὰ τὸν χρόνον, ὃν οὐ πίνων μᾶλλον ἢ λαλῶν εἷλκεν, ἐφ´ ἑκάστης κύλικος ἀεὶ μακρόν τινα λόγον διατιθέμενος, καὶ ταῦτα πολλῆς σχολῆς οὔσης. Ἐπεὶ πρός γε τὰς πράξεις οὐκ οἶνος ἐκεῖνον, οὐχ ὕπνος, οὐ παιδιά τις, οὐ γάμος, οὐ θέα, καθάπερ ἄλλους στρατηγούς, ἐπέσχε· δηλοῖ δ´ ὁ βίος, ὃν βιώσας βραχὺν παντάπασι πλείστων καὶ μεγίστων πράξεων ἐνέπλησεν.

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