Contre la canicule, un sacrifice de chiennes rousses

La morsure de la canicule… Détail du sarcophage de la chasse à courre au sanglier et aux cerfs, milieu du IVe s., Arles-Alyscamps, musée Départemental Arles Antique, (Photo MG)

Rome brûle. Cette fin de mois d’août 2023, la température dépassera les 40 degrés dans la ville éternelle. Or les Romains de l’Antiquité ont aussi connu des étés étouffants. Ils ont désigné la période de grande chaleur par un mot latin que nous utilisons encore: canicula.

L’histoire de la canicule commence dans les astres. Il y a plus de 3000 ans, une constellation a sauté aux yeux des astronomes Babyloniens. Pour une bonne raison: dans cette nuée d’étoiles se trouve la plus brillante de notre ciel.

Alors que les Babyloniens voyaient dans le positionnement de ces étoiles un arc et une flèche, les Grecs, quelques siècles plus tard, pensaient distinguer la forme d’un grand chien. Pas n’importe lequel d’ailleurs. Ce chien est parfois identifié comme  Sirius, l’un des molosses du chasseur Orion; parfois comme Laelaps, compagnon de la déesse de la chasse Artemis, offert successivement au roi de Crète Minos, à la belle Procris, puis à Céphale, roi d’Athènes. In fine, Laelaps, qui avait le don de courir deux fois plus vite que sa proie, aurait été transformé en constellation par Zeus.

Du grand chien à la petite chienne

Les Romains reprennent à leur compte l’histoire de la constellation du Grand chien, Canis major. Mais ils distinguent aussi à proximité une autre formation céleste plus petite. Les deux étoiles les plus brillantes de ces constellations voisines portent encore aujourd’hui les noms des chiens d’Orion: Sirius et Procyon[1].

A l’époque romaine, Sirius avait la particularité de se lever et de se coucher en même temps que le soleil entre le 22 juillet et le 22 août environ, en coïncidence avec la période de grande chaleur.

Comme son nom l’indique en grec, Procyon précédait Sirius dans le ciel, annonçant ainsi les futures grandes chaleurs.

Cave caniculam!

Le globe de Matelica, un objet astronomique du 1er ou 2e siècle (photo MG).

Mais quel lien avec le mot latin canicula qui a donné nôtre canicule? On retombe sur nos pattes en écoutant les explications –un peu techniques– du naturaliste Pline l’Ancien:

«Depuis le solstice d’été jusqu’au coucher de la Lyre, Orion se lève, d’après César, le 6 des calendes de juillet(le 26 juin); le 4 des nones (le 4 juillet), sa ceinture se lève pour l’Assyrie, et, en Egypte, le brûlant Procyon se lève le matin; cette constellation n’a pas de nom chez les Romains, à moins que nous ne voulions l’entendre sous la dénomination de Canicule [canicula], comme elle est peinte parmi les astres; elle est d’une grande importance, comme nous allons le dire.»[2]

Si vous êtes toujours perdus, voici un résumé. La constellation identifiée par les Romains, voisine du Grand chien, Canis Major, mais plus petite, n’est autre que Canicula, mot qui signifie en latin «petite chienne». Et son arrivée dans le ciel n’annonce rien de bon.

L’auteur peu connu Hygin, qui a vécu à l’époque d’Auguste, raconte d’ailleurs une histoire assez sombre de cette petite chienne mythologique.

Le mythe d’Icarios, Erigone et Maéra

Selon lui, elle s’appelait Maéra et appartenait à Erigone, fille de l’Athénien Icarios, à qui Dionysos avait enseigné l’art de la culture de la vigne. Alors qu’Icarios tentait généreusement de transmettre son savoir viticole à des bergers, il est tué par ces derniers sous l’effet de l’ivresse. Maéra hurle à la mort et va chercher sa maîtresse. Celle-ci, découvrant son père assassiné, se pend. Hurlements redoublés de la chienne qui, de désespoir, saute d’une falaise.

Les dieux, irrités par tant de gâchis, punissent les coupables de divers tourments et élèvent dans les cieux les victimes: Erigone devient la constellation de la Vierge, Icarios celle du Bouvier, et Maéra est assimilée à la constellation de la Petite chienne, alias la Canicule.[3]

Canis Major, dans le Miroir d’Uranie de Jehoshaphat Aspin. Londres.1825.

Comment se protéger de la chaleur?

Cependant, l’arrivée dans le ciel de Maéra n’est pas de bon augure pour les humains. Pline liste quelques plaies caniculaires:

«Qui donc ne sait que le lever de la Canicule attise la radiation du soleil? C’est la constellation qui fait sentir sur terre les effets les plus puissants: à son lever, les mers se soulèvent, le vin bouillonne dans les caves, les marais s’agitent. Les Egyptiens donnent le nom d’oryx à un animal qui, selon eux, se tient face à cette constellation quand elle se lève et la contemplent comme s’il l’adorait, après avoir éternué. Du moins est-il hors de doute que les chiens sont beaucoup plus exposés à la rage pendant toute cette période.»[4]

Pour se prémunir des effets dévastateurs de la canicule, un esprit romain pense immédiatement à une solution: un sacrifice pour apaiser les dieux. Et quelles meilleures victimes en la circonstance que des chiennes rousses[5] dont la couleur du pelage évoque l’ardeur du soleil?

Pline et quelques rares auteurs évoquent cette cérémonie sacrificielle visant à éloigner les catastrophes liées à la chaleur excessive et protéger les récoltes, l’augurium canarium. Le rite se pratiquait semble-t-il à l’orée de l’été, à la porta Catularia située à l’ouest du Capitole[6].

Compagnons des hommes avant même que l’écriture existe, utilisés comme compagnons de chasse et gardiens, comme animaux de compagnie et bergers, les canidés étaient ainsi bien mal récompensés par les Romains pour leurs services: chienne de vie!

[1] Sirius, σείριος en grec ancien, signifie «brûlant, ardant»; et Procyon, προκύων, «chien qui se porte en avant, aboyeur».

[2] Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, XVIII, 48 (268): Ab solstitio ad fidiculae occasum VI kal. Iul. Caesari Orion exoritur, zona autem eius IIII non. Assyriae, Aegypto vero procyon matutino aestuosus, quod sidus apud Romanos non habet nomen, nisi caniculam hanc volumus intellegi, hoc est minorem canem, ut in astris pingitur, ad aestum magno opere pertinens, sicut paulo mox docebimus.

[3] Hygin, Fables, 130. Icarios et Érigone

[4] Pline l’Ancien, Histoire naturelle, II, 107: Nam caniculae exortu acendi solis vapores quis ignorat? cuius sideris effectus amplissimi in terra sentiuntur: fervent maria exoriente eo, fluctuant in cellis vina, moventur stagna. orygem appellat Aegyptus feram, quam in exortu eius contra stare et contueri tradit ac velut adorare, cum sternuerit. canes quidem toto eo spatio maxime in rabiem agi non est dubium.

[5] Festus p. 358,27 sous Rutilae canes.

[6] Digital Augustan Rome, Porta catularia.

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Première parution août 2023, reproduction interdite


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