Fête des Meditrinalia: à votre santé!

Cet article est basé sur celui publié en octobre 2013 sur l’excellent blog La toge et le glaive


Fêtées le 11 octobre dans le monde romain, les Meditrinalia sont souvent considérées comme une sorte de fête des vendanges. En réalité, il s’agit moins de la célébration des récoltes et de la production du vin nouveau que de celle des vertus curatives prêtées à une certaine boisson. Les Romains boivent en effet un mélange de «vin nouveau» et de «vin vieux», mixture réputée assurer une bonne santé.

Mosaïque des vendanges, maison romaine de l’amphithéâtre. 3e siècle ap. JC. Merida, Espagne.

Étant donné que le vin nouveau en question n’est généralement dégusté qu’à partir des Vinalia priora du 23 avril, les Meditrinalia célèbrent la production annuelle du moût[1], liquide non fermenté obtenu par le pressurage des grappes après la récolte. Quant au vin vieux, c’est tout simplement celui de l’année précédente.

On sait finalement très peu de choses sur les Meditrinalia: rituel très important dans la Rome archaïque où l’agriculture représentait l’essentiel de l’activité économique, il fut longtemps respecté par les Romains, qui en avaient pourtant oublié le sens depuis au fil des siècles. On en est donc réduit à des spéculations et des extrapolations, à partir du peu d’éléments disponibles.

L’origine même du mot Meditrinalia est sujette à débat. Varron le rapproche du verbe «soigner» (medeor), rejoignant donc l’idée des propriétés curatives du mélange ingurgité ce jour-là.

«Le jour des Meditrinalia au mois d’octobre tire son nom de medeor, parce que, disait le flamine de Mars Flaccus, on avait coutume d’offrir ce jour-là en libation et de boire, à titre de médicament, du vin nouveau et du vin vieux. Beaucoup ont encore l’habitude de le faire et disent à cette occasion: ‘Je bois du vin nouveau et du vin vieux: je me guéris de la nouvelle et de la vieille maladie.» [2]

Au IIe siècle, Festus Grammaticus évoque quant à lui la déesse Meditrina.

«C’était l’usage chez les peuples latins, le jour où l’on goûtait le premier moût, de dire en manière de bon présage: ‘Je bois du vin vieux, du vin nouveau; de la vieille maladie et de la nouvelle je me guéris.’ De ces paroles a été tiré le nom d’une déesse, Meditrina, dont les Meditrinalia sont la fête.»[3]

Stèle de Meditrina découverte sur le site archéologique de Grand, Vosges, France (Photo Wikimedia commons).

Grammaticus est le premier à mentionner la divinité et la plupart de chercheurs pensent qu’il s’agit d’une invention a posteriori pour expliquer l’origine de la célébration. On notera que l’étymologie du nom recoupe l’explication avancée par Varron, le nom de Meditrina dérivant également de la racine medeor. La déesse équivaudrait grosso modo à la Iaso grecque (divinité de la guérison). Divinité romaine de la santé, de la longévité et du vin, son père serait selon la légende le dieu de la médecine, Esculape. Meditrina est donc aussi la sœur d’Hygie, également présentée comme une divinité liée à la santé, mais leurs attributions diffèrent: la première guérit des maladies, tandis que la seconde préserve la santé.

Toutefois, il est plus probable que le dieu honoré lors des Meditrinalia soit en fait Jupiter (si l’on se fie au Fasti Amiternini, document fixant les jours fastes et néfastes datant du règne de Tibère), auquel était aussi dédié la célébration des Vinalia priora, le 23 avril. Le rituel des Meditrinalia n’est d’ailleurs pas sans rappeler un épisode rapporté par Tite-Live: lors d’une bataille décisive visant à laver l’honneur de Rome après le désastre des Fourches Caudines, le consul Lucius Papirius Cursor promet à Jupiter Victor, alors même que les combats font rage autour de lui, de lui offrir en cas de victoire une coupe de vin miellé, avant de boire lui-même du vin pur. Ce qui, apparemment, plaît beaucoup à Jupiter qui fait tourner la bataille à l’avantage des Romains.

«C’est grâce à cette même force d’âme que la discussion sur les auspices ne put lui faire contremander le combat, et que même au moment décisif, où l’usage était de vouer aux Immortels des temples, il fit vœu à Jupiter Vainqueur, s’il mettait en déroute les légions ennemies, de lui offrir une petite coupe de vin au miel, avant de boire lui-même du vin pur. Ce vœu fut agréable aux dieux, et les auspices tournèrent bien.»[4]

Le Rituel des Meditrinalia

Concrètement, on peut se faire une idée du rituel des Meditrinalia en se basant sur le témoignage de Caton, qui décrit dans De l’agriculture les offrandes faites à Jupiter Dapalis (qui préside aux semailles).

«Voici comment il faut faire cette offrande: présentez à Jupiter Dapalis une coupe de quelque vin que ce soit. Ce jour sera chômé par les bœufs, par les bouviers, et par ceux qui feront le sacrifice. Au moment du sacrifice vous ferez cette prière: ‘Jupiter Dapalis, je remplis mon devoir en t’offrant cette coupe de vin dans ma maison et au sein de ma famille; à cette cause daigne l’avoir pour agréable.’ Lavez ensuite vos mains, prenez le vin, et dites: ‘Jupiter Dapalis, agrée ce festin que je dois t’offrir. Reçois ce vin placé devant toi.’ Si vous le trouvez bon, présentez une offrande à Vesta. Le festin présenté à Jupiter consiste en un morceau de porc rôti, et en une coupe de vin intacte. Faites cette offrande sans y toucher; le festin terminé, semez le millet, le panic, l’ail et la lentille.»[5]

Ici, le rituel consistait donc sans doute à présenter une coupe contenant un mélange de moût cuit et de vin et à prononcer une formule proche de celle citée par Caton, en substituant éventuellement au nom de Jupiter celui de Meditrina. On se lavait les mains et on versait ensuite le mélange sur l’autel (c’est la libation en elle-même) en récitant une prière, encore une fois approchant celle dictée par Caton. On buvait enfin le reste de la coupe, en récitant la phrase indiquée par Varron: Novum vetus vinum bibo, novo veteri morbo medeor.

Vin et santé: quand Columelle s’en mêle…

L’explication des propriétés curatives du mélange n’est pas évidente, mais on trouve un élément de réponse chez Columelle, cité par Georges Dumézil. Il explique en effet comment transformer le mustum (moût) en defrutum (vin cuit): il s’agit de faire bouillir le moût brut afin qu’il réduise. Mais, ajoute Columelle:

«Quoique préparé avec soin, le vin cuit a coutume de tourner à l’acidité, comme le vin naturel. Comme cet accident peut avoir lieu, n’oublions pas qu’il faut préparer le vin avec du vin cuit d’un an dont la bonté est éprouvée: car un mauvais remède gâterait le produit qu’on a recueilli.»[6]

Au fil des paragraphes consacrés au vin, Columelle emploie indistinctement les mots conditura (qui désigne la manière de conserver des aliments) et medicamentum (médicament). D’où la conclusion tirée par Georges Dumézil, pour qui le vin bouilli de l’année précédente «soigne» le nouveau moût lorsqu’il lui est mélangé. Ceci expliquerait l’origine des Meditrinalia, la vertu curative se transmettant ensuite à l’homme de façon symbolique puisque la mixture empêche que le mout n’aigrisse. Par extension, le mot meditrinalia désignerait «l’atelier où l’on soigne» où l’on soigne le vin, s’entend.

[1] Voir l’article Gleukos, un petit coup de moût?

[2] Varron, De lingua Latina, VI, III.10: Octobri mense Meditrinalia dies dictus a medendo, quod Flaccus flamen Martialis dicebat hoc die solitum vinum novum et vetus libari et degustari medicamenti causa; quod facere solent etiam nunc multi cum dicunt: ‘Novum vetus vinum bibo: novo veteri morbo medeor.

[3] Grammaticus, De verborum significatione, XI: Mos erat Latinis populis, quo die quis primum gustaret mustum, dicere ominis gratia: ‘Vetus novum vinum bibo, veteri novo morbo medeor.’ A quibus, verbis etiam Meditrinae deae nomen conceptum, ejusque sacra Meditrinalia dicta sunt.

[4] Tite-Live, Ab Urbe condita, X, V.42: Ab eodem robore animi neque controverso auspicio revocari a proelio potuit et in ipso discrimine quo templa deis immortalibus voveri mos erat voverat Iovi Victori, si legiones hostium fudisset, pocillum mulsi priusquam temetum biberet sese facturum. Id votum dis cordi fuit et auspicia in bonum verterunt.

[5] Caton, De agricultura, CXXXII: Dapem hoc modo fieri oportet. Iovi dapali culignam vini quantam vis polluceto. Eo die feriae bubus et bubulcis et qui dapem facient. Cum pollucere oportebit, sic facies: Iuppiter dapalis, quod tibi fieri oportet in domo familia mea culignam vini dapi, eius rei ergo macte hac illace dape polluenda esto. Manus interluito postea vinum sumito: Iuppiter dapalis, macte istace dape polluenda esto, macte vino inferio esto. Vestae, si voles, dato. Daps Iovi assaria pecuina urna vini. Iovi caste profanato sua contagione. Postea dape facta serito milium, panicum, alium, lentim.

[6] Columelle, De re rustica, XII, 20: Quin etiam diligenter factum defrutum, sicut vinum, solet acescere; quod cum ita sit, meminerimus anniculo defruto, cuius iam bonitas explorata est, vinum condire; nam vitioso medicamento tunc fructus, qui perceptus est, vitiatur.

Première parution octobre 2022, modifié octobre 2023


D’autres articles du blog de l’association Nunc est bibendum

Tous les articles