Cet événement se répètejuillet 7, 2025
202407juilToute la journéeRepeating EventNonae CaprotinaeType:Fête romaine
Description
Nonis Iuliis Figure de Junon avec cornes de chèvres, Latium, 500-480 av. J.C. (Altes
Description
Nonis Iuliis

EN BREF. Le 7 juillet, les femmes romaines célébraient une fête où esclaves et matrones échangeaient leurs rôles, les Nonae Caprotinae. Les servantes portaient les vêtements de leurs maîtresses, lançaient des plaisanteries interdites et simulaient des combats. Cette journée commémorait l’héroïsme légendaire de Philotis, esclave qui aurait sauvé Rome en trompant des ennemis.
Les Nonae Caprotinae: quand les esclaves sauvaient Rome
Dans le foisonnant calendrier religieux de la Rome antique, une fête se distingue par son caractère singulier: les Nones Caprotines. Célébrée chaque année le 7 juillet, cette festivité en l’honneur de Junon Caprotine revêtait une importance particulière pour les femmes romaines, qu’elles soient nobles ou esclaves.
La position des Nonae Caprotinae dans le calendrier romain est elle-même exceptionnelle. C’est en effet la seule fête fixée un jour des Nones, ce qui lui confère un statut particulier dans le cycle religieux romain. Cette singularité a parfois conduit à des confusions avec d’autres célébrations, notamment les Poplifugia, qui commémoraient la disparition mystérieuse de Romulus. Plutarque fusionne les deux événements dans ses écrits (Vie de Romulus 29), tandis que Varron les distingue clairement dans son De lingua latina (VI, 18) sans en préciser les dates.
L’apparition de cette fête dans les calendriers épigraphiques en caractères majuscules indique qu’elle remonte à la période monarchique, ce qui exclut toute connexion avec des événements du début de la République.
Le mythe fondateur: l’héroïsme de Philotis
Selon le récit de Plutarque dans ses Vies parallèles (Vie de Camille 33) et de Macrobe dans ses Saturnales (I, 11, 35-40), la fête célébre une esclave dont l’ingéniosité aurait sauvé Rome d’une défaite certaine.
Plutarque raconte que «les Latins campent sous les murs de la ville, et exigent des Romains qu’ils leur livrent des jeunes filles et des femmes de naissance libre». Face à cette situation critique, «une esclave nommée par les uns Philôtis et par les autres Tutula (ou Tutela) leur propose alors de se livrer en otage à la place des femmes libres, avec un certain nombre de ses compagnes dans la fleur de l’âge».
Elle suggéra que des esclaves, déguisées en matrones, soient envoyées à leur place. Selon Plutarque, vêtues et parées comme des dames, elles se rendirent dans le camp des assiégeants, sous la conduite de Philotis. Une fois dans le camp ennemi, ces femmes enivrèrent leurs ravisseurs. Macrobe précise que les pseudo-matrones, réparties dans le camp, «provoquèrent les hommes avec beaucoup de vin».
Pendant la nuit, une fois les hommes endormis, elles leur volèrent leurs épées. Philotis se hissa sur un figuier sauvage et brandit un flambeau, en dissimulant la lumière aux ennemis en déployant de leur côté son manteau. Cette ruse permit aux soldats romains de surprendre leurs adversaires et de remporter la victoire.
En reconnaissance de cet acte héroïque, le Sénat romain décréta que les esclaves ayant participé à cette action seraient affranchies et autorisées à porter l’habit de matrones. De plus, une fête annuelle fut instituée pour commémorer cet événement: les Nonae Caprotinae.
Les études récentes ont cependant démontré qu’aucune des populations limitrophes de Rome n’a tenté d’envahir son territoire après le départ des Gaulois. Cette tradition historiographique transpose donc une tradition mythique qui doit être interprétée comme telle.
Un déroulement rituel exceptionnel
Le déroulement de cette célébration était tout aussi inhabituel que son origine. Le jour des Nonae Caprotinae, les femmes romaines, toutes classes confondues, quittaient la ville en procession. Plutarque décrit comment «on la commence en franchissant en foule la porte de la ville et en criant beaucoup de prénoms les plus communs dans le pays… pour imiter les soldats qui, dans leur précipitation, s’interpellaient alors les uns les autres».
Les servantes, vêtues comme des femmes libres, interpellaient les passants avec des plaisanteries osées, brouillant temporairement les distinctions sociales. Plutarque note qu’«ensuite les servantes, brillamment parées, se promènent en folâtrant et en lançant des railleries à ceux qu’elles rencontrent».
L’un des moments forts de la fête était la simulation joyeuse d’un combat, au cours duquel les participantes se lançaient des pierres. Plutarque explique qu’«elles se livrent aussi entre elles une sorte de combat, pour marquer la part qu’elles prirent alors à la lutte contre les Latins». Cette reconstitution ludique de la bataille légendaire était suivie d’un banquet rassemblant femmes libres et esclaves autour d’un figuier sauvage, symbole de l’arbre utilisé par Philotis.
Varron précise dans son De lingua latina (VI, 18) le rituel religieux proprement dit: «Nones Caprotines, parce que ce jour-là dans le Latium les femmes sacrifient à Junon Caprotine et se rassemblent sous le figuier sauvage: elles utilisent une branche du figuier sauvage». C’est là qu’elles offraient un sacrifice à Junon Caprotine, utilisant le lait et une branche du figuier.
Le figuier sauvage au cœur de la fête
Le nom même de la fête, Caprotines, dérive du terme latin caprificus, désignant le figuier sauvage. Ce lien étymologique renforce la connexion entre le mythe fondateur et le culte de Junon Caprotine, associée à la fertilité et à la protection des femmes. Macrobe explique dans ses Saturnales (I, 11, 35-40) que ce jour est nommé Nonae Caprotinae, en souvenir du figuier sauvage d’où la jeune esclave éleva sa torche, car le figuier sauvage s’appelle en latin caprificus.
Cet arbre était central dans les cérémonies du 7 juillet, servant à la fois de lieu de rassemblement et de source d’éléments rituels. Les femmes utilisaient le lait du figuier et une de ses branches pour accomplir leur sacrifice à Junon.
L’Ancillarum Feriae: une fête des servantes
Ce jour était également marqué comme Ancillarum Feriae (Fête des Servantes). Ovide mentionne dans son Art d’aimer (II, 257-258) l’usage de faire des cadeaux aux servantes «dans ce jour où, trompée par le travestissement des servantes romaines, les Gaulois payèrent cette erreur de leur vie». Cette dimension reconnaissait spécifiquement le rôle héroïque des esclaves dans le mythe fondateur, créant un espace temporaire de reconnaissance sociale.
Les interprétations modernes : entre fertilité et astronomie
Les historiens modernes ont proposé différentes lectures de cette fête complexe. L’historien Uberto Pestalozza interprète en 1933 le rituel des Nones Caprotines comme un rite favorisant la fertilité féminine avec la présence symbolique du figuier sauvage, considéré comme mâle et fécondant le figuier cultivé, et le surnom Caprotine de la déesse destinataire du sacrifice, lié à la puissance du bouc.
Une interprétation révolutionnaire a été proposée par Paul Drossart en 1974, reprise par Georges Dumézil. Selon cette lecture astronomique, «la fête des Nonae Caprotinae, qui se célébrait dans le calendrier lunaire au premier quartier suivant le solstice d’été (7 juillet), au début donc de la saison de dominance des nuits, appelle, dans ses rites et dans une de ses légendes étiologiques, une interprétation lunaire».
Drossart voit dans la figure de Philotis brandissant sa torche depuis le figuier «une image familière à l’iconographie romaine: le personnage féminin emporté vers le ciel dans un envol d’écharpe ou de voiles, et qui parfois brandit une torche: par exemple sur l’armure de la statue de Prima Porta, sur le bas-relief de Carthage inspiré par l’Ara Pacis». L’écran que Philotis déploie pour cacher une partie de la lumière représenterait le partage de l’orbe lunaire dont la moitié seulement, la nuit des Nones, dispense ses rayons.
Cette approche lunaire établit une correspondance avec les rites des Matralia du 11 juin, créant un système où les Nonae Caprotinae marquent «le sauvetage de la lumière du jour, défaillante, compensée par la lumière lunaire», selon Dumézil.
Une persistance à travers les siècles
Malgré les changements sociaux et religieux qui ont marqué l’histoire de Rome, les Nonae Caprotinae ont perduré pendant des siècles. Des mentions de cette fête apparaissent encore dans des textes du 4e et du 5e siècle, alors même que le christianisme s’imposait progressivement comme religion dominante. Ausone les cite dans son Églogue 23, et Macrobe les décrit dans ses Saturnales. Le calendrier de Polemius Silvius, daté d’environ 448, les mentionne également.
Cette longévité témoigne de l’enracinement profond de cette célébration dans la culture romaine, résistant même aux transformations religieuses majeures de l’Empire tardif.
Une fenêtre sur la société romaine archaïque
Les Nonae Caprotinae offrent un aperçu unique sur la Rome archaïque, révélant une société capable d’intégrer des pratiques très anciennes dans son système religieux sophistiqué. Cette fête montre comment les Romains savaient ménager des espaces de liberté sociale contrôlée, essentiels pour maintenir l’équilibre social le reste de l’année.
L’inversion temporaire des rôles sociaux, où les esclaves pouvaient porter les vêtements des matrones et tenir des propos normalement interdits, révèle une compréhension subtile des mécanismes de régulation sociale. L’espace d’une journée, les hiérarchies habituelles étaient suspendues, permettant une libération contrôlée des tensions.
La transformation d’esclaves en héroïnes de la République dans le mythe fondateur témoigne également d’une capacité remarquable à intégrer dans la mémoire collective des figures habituellement marginalisées par l’histoire officielle, montrant une Rome moins rigide que ne le suggèrent souvent les sources littéraires.
Sources antiques
- Macrobe, Saturnales, I, 11, 35-40.
- Ovide, Ars amatoria (Art d’aimer), II, 257-258.
- Plutarque, Vies parallèles : Vie de Camille, 33 ; Vie de Romulus, 29 ; Vie de Numa, 2.
- Varron, De lingua latina, VI, 18.
Études modernes citées
- Drossart, Paul, Nonae Caprotinae: La fausse capture des Aurores, Revue de l’histoire des religions, t. 185, n° 2, 1974, p. 129-139.
- Dumézil, Georges, Fêtes romaines d’été et d’automne, suivi de Dix Questions romaines, Paris, Gallimard, 1975.
- Pestalozza, Uberto, interprétation du rituel des Nones Caprotines comme rite de fertilité (1933).
En savoir plus
- Cette fête romaine n’a aucun sens (Nones Caprotines), sur la chaine Youtube Le Stryge.
- Article Nones Caprotines sur Wikipedia.
Dates
Juillet 7, 2024 Toute la journée