Cerealia

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202412avrToute la journée19Repeating EventCerealiaType:Fête romaine

Description

Pridie Idus Apriles – Ante diem tertium decimum Kalendas Maias

Cérès assise d'Emerita Augusta, l'actuelle Mérida, Espagne
Cérès assise d’Emerita Augusta, l’actuelle Mérida, Espagne.

EN BREF. Les Cerealia, célébrées du 12 au 19 avril dans la Rome antique, honoraient Cérès, déesse des moissons. Cette fête plébéienne commémorait le retour de Proserpine, fille de Cérès, enlevée par Pluton. Le rituel le plus spectaculaire consistait à lâcher des renards portant des torches enflammées pour protéger les futures récoltes. Les célébrations comprenaient courses de chevaux, processions en vêtements blancs et offrandes de miel et d’encens, unissant ainsi religion, agriculture et politique dans un moment crucial du cycle agricole.

Les Cerealia: quand Rome célébrait le réveil des blés

Au mois d’avril, alors que les céréales commençaient à croître dans les champs, les Romains célébraient une fête agricole d’une grande importance: les Cerealia. Cette célébration, dédiée à la déesse Cérès, s’inscrivait dans le cycle des rituels agraires et jouait un rôle significatif tant sur le plan religieux que social et politique dans la Rome antique.

Origine et introduction du culte à Rome

Le culte de Cérès à Rome remonte à la toute fin du 6e siècle avant notre ère. Selon plusieurs sources antiques, il fut introduit en 493 av. J.-C., à la suite d’une consultation des Livres sibyllins, ces recueils d’oracles que les Romains consultaient en temps de crise. Comme l’indique le Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines: «Le culte de la déesse grecque Déméter, latinisé en Cérès, fut introduit à Rome en -493 d’après l’indication des Livres sibyllins. Un temple situé près du Circus Maximus lui fut consacré trois ans plus tard.»

Ce temple présentait une particularité notable: il s’agissait du «premier temple bâti à Rome dans le style grec et par des Grecs», toujours selon la même source. Cette introduction d’un culte hellénique témoigne de l’influence croissante de la culture grecque sur la religion romaine dès le début de la République.

Étymologie et nature de Cérès

Pour comprendre la nature de cette déesse, il est intéressant de se pencher sur l’étymologie de son nom. Cérès était initialement une divinité italique ancienne, comme le prouve l’existence d’un flamen cerialis (prêtre spécifique) mentionné dans plusieurs sources. Son nom dérive de la racine indo-européenne ker-, qui a donné en latin les verbes cresco et creo, signifiant respectivement «croître» et «créer». Cette racine se retrouve également dans d’autres langues italiques, comme l’atteste une inscription osque mentionnant une «Dea Kerri-».

Cérès était donc, par essence, la déesse de la croissance végétale et tout particulièrement des céréales, d’où son identification rapide avec la Déméter grecque, qui possédait des attributions similaires.

Le déroulement des Cerealia

D’après les indications fournies par Ovide dans ses Fastes (IV, 4393-4620), la fête des Cerealia se déroulait initialement lors d’occasions exceptionnelles, avant d’être fixée annuellement du 12 au 19 avril. Cette période correspondait au moment critique où les céréales commençaient à former leurs épis, une phase délicate nécessitant la protection divine.

Les célébrations comportaient plusieurs éléments:

Les sacrifices et offrandes

Contrairement à de nombreux cultes romains qui privilégiaient les sacrifices sanglants, les offrandes à Cérès étaient généralement non-sanglantes, à l’exception notable d’une truie. Ovide précise dans ses Fastes (IV, 4409-4416):

«Vous pouvez offrir à la déesse de l’épeautre, lui faire l’hommage d’un peu de sel brillant et de grains d’encens jetés dans un vieux foyer; et si vous n’avez pas d’encens, enduisez des torches de poix et allumez-les; la bonne Cérès agrée une offrande modeste, pourvu qu’elle soit pure. Sacrificateurs à la tunique retroussée, écartez du bœuf vos couteaux; le bœuf doit labourer; immolez une truie paresseuse.»

Cette prescription de préserver les bœufs, nécessaires au travail agricole, tout en sacrifiant la truie, considérée comme nuisible aux cultures, illustre parfaitement le pragmatisme agricole qui sous-tendait ces rituels.

Les jeux publics (ludi Cereales)

Comme pour de nombreuses fêtes romaines importantes, les Cerealia comprenaient des jeux publics (ludi) qui se déroulaient dans le Circus Maximus. Selon l’historienne contemporaine Barbette Stanley Spaeth, ces jeux incluaient des courses de chevaux dont le point de départ se situait juste en-dessous du temple de Cérès, sur l’Aventin.

Après 175 av. J.-C., des représentations théâtrales (ludi scaenici) furent ajoutées au programme du 12 au 18 avril. D’après l’historienne Léonie Hayne, l’édile plébéien Gaius Memmius est crédité d’avoir organisé les premiers de ces jeux scéniques, et d’avoir distribué une nouvelle monnaie commémorative en l’honneur de cet événement.

Le rituel des renards

L’un des rituels les plus singuliers des Cerealia était la course des renards. Ovide le décrit ainsi dans ses Fastes (IV, 679-682):

«Dans le cirque étaient faites courir des volpes sur le dos desquelles étaient fixées des torches enflammées.»

L’origine de cette pratique était déjà obscure à l’époque d’Ovide, qui propose une explication légendaire: jadis, à Carleoli, un jeune garçon aurait capturé un renard qui volait des poulets et aurait tenté de le brûler vif. Le renard se serait échappé en flammes et, dans sa fuite, aurait incendié les champs et les récoltes. Comme ces champs étaient consacrés à Cérès, les renards seraient depuis lors «punis» lors de son festival.

Au-delà de cette légende, les historiens modernes suggèrent que ce rituel pouvait avoir une fonction purificatrice pour les cultures, visant peut-être à prévenir une maladie du blé appelée robigo (la rouille).

La dimension politique et sociale des Cerealia

Les Cerealia n’étaient pas qu’une simple fête agricole; elles possédaient également une forte dimension politique et sociale qui explique leur importance dans la société romaine.

Un culte plébéien

Cérès tenant la longue torche et un panier rempli d’épis de blé, provenant de la Maison des Dioscures à Pompéi, Musée Archéologique National de Naples.

Le culte de Cérès à Rome présentait la particularité d’être fortement associé à la plèbe, contrairement à de nombreux autres cultes réservés aux patriciens. Plusieurs éléments attestent ce lien:

  • L’emplacement du temple, situé près de l’Aventin, mont traditionnellement associé à la plèbe;
  • La supervision du culte par les édiles plébéiens;
  • La fonction du temple comme centre de distribution de grain en temps de crise.

Comme le souligne le Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines: «Une autre particularité du culte de Cérès à Rome consistait en ce qu’il s’adressait surtout aux plébéiens, qui au contraire se voyaient exclus des sacra gentilicia des familles patriciennes.»

Cette association entre Cérès et la plèbe était si forte que, selon Denys d’Halicarnasse: «Qui violait la sacrosanctitas des tribuns de la plèbe était sacer Cereri [consacré à Cérès] et ses biens, ainsi que les amendes commencées par les tribuns, étaient transférés au temple de la Déesse.»

Les banquets et échanges sociaux

Les Cerealia étaient également l’occasion de banquets et d’échanges entre les différentes classes sociales. Comme l’indique notre source: «Il était d’usage en cette occasion que les plébéiens invitassent les patriciens qui à leur tour les conviaient aux Megalesia (fêtes de Cybèle).»

Ces échanges de politesses entre patriciens et plébéiens suggèrent que les Cerealia, tout comme les Megalesia, servaient de moments de rapprochement et de réconciliation temporaire entre les différentes classes sociales romaines.

Le mythe fondateur: l’enlèvement de Proserpine

La mythologie qui sous-tendait les Cerealia était centrée sur l’enlèvement de Proserpine (Perséphone en grec), fille de Cérès, par Pluton (Hadès), dieu des Enfers.

Ovide consacre une grande partie du livre IV de ses Fastes (4417-4620) à ce récit. Il décrit comment Proserpine, cueillant des fleurs en Sicile avec ses compagnes, fut enlevée par Pluton et emmenée aux Enfers. Cérès, désespérée, parcourut le monde à sa recherche, portant des torches allumées pour éclairer son chemin la nuit –ce qui explique l’utilisation de torches dans le rituel des Cerealia.

Après avoir appris que sa fille était devenue l’épouse de Pluton, Cérès plaida auprès de Jupiter pour son retour. Un compromis fut trouvé: Proserpine passerait six mois par an avec sa mère sur terre et six mois aux Enfers avec son époux. Ovide conclut ce récit en expliquant: «Alors enfin Cérès retrouva son sourire et ses esprits et posa sur sa chevelure une couronne d’épis. Dans les champs laissés en jachère on récolta une abondante moisson, et l’aire contint avec peine les richesses qu’on y amassait.»

Cette alternance de Proserpine entre le monde souterrain et la surface symbolisait parfaitement le cycle agricole: la graine disparaît sous terre pendant l’hiver avant de resurgir au printemps sous forme de plante.

Autres célébrations liées à Cérès

Outre les Cerealia d’avril, deux autres fêtes importantes étaient dédiées à Cérès dans le calendrier romain :

  1. Le sacrum anniversarium Cereris, institué peu avant la deuxième guerre punique et célébré en août, quelques jours après l’anniversaire de la bataille de Cannes (2 août 216 av. J.-C.). Cette cérémonie était exclusivement féminine et s’accompagnait d’une abstinence de neuf jours. Les femmes, vêtues de blanc et couronnées d’épis, offraient à la déesse les prémices des champs.
  2. Le jejunium Cereris, un jeûne institué en 191 av. J.-C. d’après les livres Sibyllins, célébré initialement tous les cinq ans puis annuellement le 4 octobre. Cette fête correspondait aux Thesmophories grecques.

La place des Cerealia dans le cycle agricole romain

Les Cerealia s’inscrivaient dans un cycle plus large de fêtes agricoles qui rythmaient le mois d’avril, période critique avant la récolte. Cette progression rituelle accompagnait les différentes étapes de la croissance des céréales:

  • Les Fordicidia (15 avril) : sacrifice de vaches pleines pour symboliquement renforcer les embryons issus des semences
  • Les Cerealia (12-19 avril) : demande à Cérès de permettre aux plantes de croître et de former des épis
  • Les Robigalia (25 avril) : sacrifice à Robigus pour éviter les maladies des épis
  • Les Floralia (28 avril-3 mai) : invocation à Flore pour remplir généreusement les épis et assurer une récolte abondante

Cette séquence montre l’attention minutieuse que les Romains portaient à chaque phase du développement des céréales, et comment leur religion structurait leur rapport à l’agriculture.

La pérennité des Cerealia

La longévité des Cerealia dans la culture romaine est remarquable. Selon nos sources, elles figurent sur le calendrier de Philocalus daté de 354 après J.-C., ce qui indique qu’elles étaient encore célébrées plus de huit siècles après leur institution, et même après la christianisation progressive de l’Empire.

Cette persistance témoigne de l’importance fondamentale de l’agriculture dans la société romaine et de la façon dont les rituels religieux liés aux cycles agraires conservaient leur pertinence, même dans une Rome devenue largement urbaine et cosmopolite.

Sources antiques

  • CATON L’ANCIEN, De Agricultura, 134.
  • CICÉRON, In Verrem, II, 4, 106-107.
  • DENYS D’HALICARNASSE, Antiquités romaines, VI, 89 ; X, 42.
  • OVIDE, Fastes, IV, vers 4373-4620 (édition et traduction française par Robert Schilling, Paris, Les Belles Lettres, CUF, 1993).
  • TITE-LIVE, Ab Urbe condita, III, 55 ; XXXVI, 36, 3.
  • VARRON, De Lingua Latina, V, 14.
  • VIRGILE, Géorgiques, I, 19.
  • Calendrier de Philocalus (ou Chronographie de 354 après J.-C.).

Études modernes

  • DAREMBERG, Charles et SAGLIO, Edmond (dir.), Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, Paris, 1877-1919.
  • HAYNE, Léonie, « The First Cerialia », L’Antiquité Classique, vol. 60, 1991, pp. 131-140.
  • SPAETH, Barbette Stanley, The Roman Goddess Ceres, University of Texas Press, 1996.

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Dates

avril 12, 2024 - avril 19, 2024 (Toute la journée)

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