Veneralia

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202401avrToute la journéeRepeating EventVeneraliaType:Fête romaine

Description

Kalendis Aprilibus

EN BREF. Célébrées le 1er avril, les Veneralia voyaient les Romaines purifier la statue de Vénus et la couvrir de roses, avant de se rendre aux bains masculins couvertes seulement de branches de myrte. Elles y priaient Fortuna Virilis pour qu’elle dissimule leurs défauts aux yeux des hommes et buvaient une mixture de pavot, lait et miel. Créée pour combattre la débauche, cette fête paradoxale permettait aux femmes de toutes classes sociales de concilier pudeur et séduction sous le regard des dieux… et des hommes.

Vénus Anadyomène, Pompéi (photo Wikimedia).

Les Veneralia: la fête qui célébrait la dualité féminine

Le 1er avril, les Romains célébraient les Veneralia, une fête religieuse instaurée pour lutter contre ce qu’ils percevaient comme un relâchement des mœurs. En 220 avant J.-C., selon la tradition, un oracle sibyllin avait averti que les débordements sexuels des Romains déplaisaient aux dieux et risquaient d’attirer leur courroux. Cette révélation survint à un moment critique, alors que la deuxième guerre contre Carthage était imminente, rendant urgent tout apaisement divin.

D’après les annales romaines, le culte de Venus Verticordia fut établi suite à cette consultation des Livres Sibyllins. Ces textes prophétiques étaient traditionnellement consultés en temps de crise. Ovide, dans ses Fastes (IV, 4155-4162), associe cette décision au scandale de trois jeunes vestales convaincues d’inceste, sacrilège qui coïncidait avec la montée des tensions avec Carthage avant la Seconde Guerre punique.

Plutôt que de simplement punir les coupables, Rome chercha une solution plus profonde en instituant un culte favorisant la pudeur. Valère Maxime (VIII, 15, 12) rapporte qu’une statue fut dédiée à Vénus sous l’épithète Verticordia («qui change les cœurs») afin qu’elle «détourne les cœurs des femmes de la débauche vers la pudeur».

Le choix de Sulpicia et l’établissement du culte

Une fois la décision prise d’établir ce culte, une procédure particulière fut mise en place pour choisir celle qui dédierait la statue de Venus Verticordia. Les Romains dressèrent d’abord une liste de cent matrones réputées pour leur vertu irréprochable, puis en tirèrent dix au sort. Parmi ces dix femmes, ce furent les matrones elles-mêmes qui désignèrent Sulpicia, épouse d’un consul et fille de Paterculus, comme la plus digne de cet honneur. Selon Valère Maxime, Sulpicia était considérée comme la femme la plus chaste (pudicissima) de Rome, un modèle de vertu qui incarnait les qualités que Venus Verticordia devait inspirer.

Cette implication des matrones romaines dans la sélection de Sulpicia témoigne de l’importance accordée à l’intervention des femmes elles-mêmes dans l’établissement de ce culte, destiné à influer sur leur propre comportement. Pline l’Ancien souligne que ce processus de sélection initia une nouvelle tradition qui fut reprise plus tard pour choisir Claudia Quinta lors de l’importation du culte de la Magna Mater (Cybèle) en 204 av. J.-C.

La fête fut placée sous le double patronage de deux déesses complémentaires:

  • Venus Verticordia, aspect de Vénus chargé de transformer les désirs impudiques en sentiments chastes
  • Fortuna Virilis, manifestation du Destin spécifiquement chargée de cacher aux regards masculins les défauts physiques des femmes

Cette dualité divine reflétait la complexité de l’approche romaine de la sexualité féminine, située entre retenue morale et séduction légitime dans le cadre matrimonial. L’étymologie même du nom Verticordia vient des mots latins verto (tourner) et cor (cœur), ce qui la définit comme celle qui détourne les cœurs des comportements immoraux vers la vertu.

D’après les recherches modernes, Venus Verticordia pourrait avoir été modelée sur la déesse grecque Aphrodite Apostrophia («celle qui détourne»), qui avait pour fonction de détourner les humains des désirs illégitimes et des actes impies. Cette possible influence grecque s’inscrit dans le contexte des nombreuses importations de cultes étrangers pendant les guerres puniques.

La cérémonie se déroulait en quatre phases distinctes et soigneusement ordonnées:

1. La purification de la statue divine

Les femmes romaines, qu’elles soient mariées ou non, se rendaient au temple de Vénus pour procéder à la lavatio (bain rituel) de la statue de la déesse:

  • Elles commençaient par retirer les ornements de l’effigie, notamment son collier d’or
  • Elles procédaient ensuite au lavage de la statue avec de l’eau pure
  • Après l’avoir séchée, elles lui restituaient ses parures
  • Elles terminaient en décorant la déesse de roses fraîches, fleur emblématique de Vénus

Ce rituel de purification symbolisait le renouvellement et la transformation morale recherchés pendant la fête. La lavatio de Venus Verticordia est décrite en détail par Ovide dans ses Fastes (IV, 133-156), qui précise que la déesse était ornée abondamment de roses, fleur également utilisée lors des Vinalia, autre fête de Vénus, le 23 avril.

Vénus et Mars, fresque romaine de Pompéi, Ier siècle, Musée archéologique de Naples (photo Wikimedia).

2. Le bain aux thermes masculins

Dans une inversion temporaire des espaces genrés, les femmes se rendaient ensuite aux bains publics habituellement réservés aux hommes (balnea virilia):

  • Elles se couvraient partiellement de branches de myrte pour préserver leur pudeur
  • Ce geste reproduisait l’épisode mythologique où Vénus, surprise nue par des satyres, s’était dissimulée derrière des branches de myrte
  • Cette plante, consacrée à Vénus, symbolisait également l’amour et la fertilité dans la culture romaine

Les sources suggèrent que cette pratique rituelle ne pouvait avoir lieu dans les thermes masculins qu’à partir du IIe siècle av. J.-C., période où les bains publics se développèrent à Rome. Auparavant, les femmes auraient pu se baigner dans un bassin public (piscina publica). Le myrte, avec ses propriétés aromatiques, était considéré comme purificateur tout en étant associé aux pouvoirs érotiques de Vénus. Pline l’Ancien rapporte dans son Histoire naturelle (XV, 119-121) que des anneaux faits de branches de myrte «vierges» (n’ayant pas été touchées par du fer) guérissaient les gonflements des parties génitales, illustrant les propriétés à la fois médicinales et magiques attribuées à cette plante.

3. Les offrandes à Fortuna Virilis

Toujours dans l’enceinte des thermes, les Romaines honoraient Fortuna Virilis:

  • Elles brûlaient de l’encens en son honneur
  • Elles adressaient des prières spécifiques demandant que leurs imperfections corporelles restent invisibles aux yeux des hommes
  • Ce rituel visait à obtenir la bienveillance masculine et la chance en amour

Les calendriers romains (Fasti Praenestini) mentionnent cette pratique: «Les femmes adressent fréquemment des prières à Fortuna Virilis» (Frequenter mulieres supplicant Fortunae Virili).

Une distinction sociale semble avoir existé dans la participation à ces rites. Les sources antiques indiquent que Fortuna Virilis était particulièrement honorée par les femmes de condition plus modeste (mulieres humiliores), tandis que les matrones de rang supérieur se concentraient davantage sur Venus Verticordia. Cependant, cette séparation n’était pas absolue, et Ovide dans ses Fastes suggère une participation plus inclusive transcendant les barrières sociales habituelles. Le culte de Fortuna Virilis était probablement plus ancien que celui de Venus Verticordia, remontant possiblement au IVe siècle av. J.-C., mais au fil du temps, il fut progressivement absorbé par celui de Vénus.

4. La potion rituelle

La cérémonie culminait avec la consommation d’une boisson rituelle composée de pavot moulu, plante associée au sommeil et à la fertilité, de lait, symbole de pureté maternelle, et de miel, substance divine liée à la douceur et à la séduction. Cette mixture, appelée cocetum, reproduisait celle que, selon la tradition, Vénus aurait consommée lors de ses noces avec Vulcain. Elle incarnait l’union des principes opposés : la chasteté et la séduction, la retenue et la passion.

Le cocetum pourrait avoir eu des effets sédatifs ou légèrement narcotiques selon la teneur en opiacés du pavot utilisé. Ovide rapporte dans les Fastes que Vénus aurait bu cette préparation lors de son mariage avec Vulcain, non par désir mais pour supporter sa nuit de noces avec un époux qu’elle trouvait peu attrayant. Cette boisson rituelle présente des similitudes avec le kykeon des Mystères d’Éleusis en Grèce, et s’inscrit dans le contexte des célébrations d’avril dédiées à Cérès (équivalente romaine de Déméter), pour qui le pavot était une plante emblématique.

Les Veneralia opéraient sur plusieurs niveaux dans la société romaine.

Le culte visait explicitement à réguler la sexualité féminine. Comme l’indique Valère Maxime, son but était de «convertir les esprits féminins de la luxure à la pudeur». Dans une société patriarcale où la chasteté féminine garantissait la légitimité des héritiers, les Veneralia renforçaient les normes sociales tout en offrant un cadre ritualisé pour aborder ces questions.

Cette régulation morale s’inscrivait dans un contexte politique plus large. L’établissement du culte de Venus Verticordia coïncide avec la promulgation de la lex Oppia en 216 av. J.-C., une loi somptuaire qui limitait la quantité d’or que les femmes pouvaient posséder et les façons dont elles pouvaient afficher leur richesse. Ces restrictions juridiques et religieuses survenaient à une période où, en raison des pertes masculines durant les guerres puniques, les femmes avaient gagné en autonomie et en pouvoir économique. Les Veneralia reflétaient donc les tensions entre cette émancipation féminine relative et le besoin de maintenir l’ordre social traditionnel.

La fête mettait en lumière la dualité de Vénus dans la religion romaine :

  • Venus Verticordia représentait l’aspect moral et pudique de l’amour
  • Venus Felix (l’heureuse) ou Venus Genetrix (la génitrice) incarnait la fertilité nécessaire à la perpétuation des familles

Cette ambivalence permettait aux Romaines de concilier des attentes sociales contradictoires: être à la fois chastes et fertiles, modestes et attirantes. Le rôle de Venus Verticordia n’était pas d’inhiber la sexualité mais de la canaliser dans le cadre du mariage, que Cicéron décrivait comme «la pépinière de la république» (seminarium rei publicae).

Ovide, dans ses Fastes, joue avec cette double nature en rappelant que Vénus, bien qu’incarnant la pudeur dans son aspect Verticordia, est aussi liée à Mars, son amant adultère. Il souligne également que son fils Énée, père du peuple romain, est né de son désir pour le mortel Anchise plutôt que de son mariage avec Vulcain. Cette lecture complexe de Vénus reflète l’ambivalence romaine envers la sexualité féminine, nécessaire à la reproduction mais devant rester sous contrôle social.

L’occupation des thermes masculins par les femmes constituait une transgression encadrée des normes habituelles. Cette inversion temporaire des rôles et des espaces, caractéristique de nombreuses fêtes romaines, servait paradoxalement à renforcer l’ordre social en créant un espace-temps limité où les tensions pouvaient s’exprimer sans menacer les structures établies.

Contrairement à la plupart des cultes exclusivement féminins qui interdisaient strictement la présence des hommes, les rites des Veneralia intégraient le regard masculin comme élément essentiel. Les femmes se baignaient sous les yeux des hommes, tout en étant partiellement protégées par les branches de myrte, dans une mise en scène qui équilibrait exposition et pudeur. Ce jeu complexe entre visibilité et dissimulation reflétait la négociation constante de la sexualité féminine dans l’espace public romain.

Le motif de la nudité rituelle est particulièrement significatif. Lors des Veneralia, même les matrones respectables retiraient temporairement les vêtements qui marquaient leur statut social (la stola et les bandelettes qui retenaient leurs cheveux), révélant un corps qui imitait celui de Vénus elle-même. Cette pratique peut être mise en parallèle avec la représentation de femmes romaines en statues de type Venus Pudica, où leurs portraits étaient placés sur des corps nus conventionnels de la déesse –une forme d’auto-représentation qui, bien que révélant le corps, maintenait une expression de parfaite réserve et de maîtrise de soi.

Venus pudica, 2e siècle, Musée archéologique de Naples (photo Wikimedia).

Les Veneralia dans le calendrier romain

Le mois d’avril (latin Aprilis) était entièrement placé sous la tutelle (tutela) de Vénus. Certains auteurs romains, comme Ovide, liaient même l’étymologie du mot Aprilis au nom grec de la déesse, Aphrodite, bien que l’explication plus commune le rattachait au verbe aperire (ouvrir), car c’était le mois où «fruits, fleurs, animaux, mers et terres s’ouvrent», selon Verrius Flaccus.

Le calendrier religieux d’avril était dominé par des rites féminins, avec des festivals majeurs pour la Grande Mère (Magna Mater) et Cérès, en plus des jours dédiés à Vénus. Avril et juin étaient considérés comme les mois les plus propices aux mariages, car ils étaient présidés respectivement par Vénus et Junon en tant que déesses du mariage.

Les Calendes d’avril (1er avril) marquaient également l’une des trois dates annuelles où une femme s’attendait à recevoir un cadeau de son partenaire masculin, les deux autres étant son anniversaire et les Sigillaria en décembre. Le terme spécifique Veneralia pour désigner cette fête n’apparaît qu’au IVe siècle de notre ère dans le Calendrier de Filocalus (354 apr. J.-C.), qui illustre le mois d’avril avec une scène des jeux théâtraux de la Magna Mater.

Évolution du culte et christianisation

Au début du IIe siècle apr. J.-C., les rituels de Fortuna Virilis semblent avoir été absorbés dans le culte de Venus Verticordia, témoignant d’une simplification progressive des pratiques religieuses. À l’époque de l’Antiquité tardive, la consommation du cocetum et certaines pratiques associées à Fortuna Virilis paraissent être tombées en désuétude, mais les célébrations des Calendes d’avril continuaient à servir le but originel de Verticordia en promouvant la vie conjugale.

Malgré la christianisation progressive de l’Empire, un temple de Vénus, possiblement celui de Verticordia, fut restauré à Rome même à la fin du IVe siècle, alors que des lois chrétiennes interdisant certaines pratiques religieuses sous l’étiquette générique de «paganisme» entraient en vigueur. Cette persistance témoigne de l’importance durable de ce culte dans la vie romaine.

L’imagerie mythologique de Vénus fut parfois adaptée par les chrétiens, comme le montre un coffret nuptial du trésor de l’Esquilin datant d’environ 380 apr. J.-C. Ce coffret reproduit l’image de Venus Anadyomène dans la représentation de la mariée, avec une composition similaire et une pose centrale comparable. Une inscription enjoint les nouveaux mariés à vivre dans le Christ, illustrant comment les symboles de l’amour conjugal pouvaient être réinterprétés dans un contexte chrétien.

Saint Augustin d’Hippone, dans un sermon sur Marie et Marthe daté de 393 apr. J.-C., évoque ce qu’il appelle les «banquets de Vénus» (epulae venerales), probablement en référence aux Veneralia. Il conseille la modération plutôt que la passion comme approche de ces célébrations séculaires, qu’il semble considérer comme «une affaire plutôt respectable célébrant une vie d’harmonie et de plénitude».

Sources antiques

  • Ovide, Fastes, IV, 4133-4164: descriptions des rituels de Vénus et des pratiques liées aux roses
  • Valère Maxime, Faits et dits mémorables, VIII, 15, 12: information sur l’institution du culte de Venus Verticordia
  • Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XV, 119-121: mentions du symbolisme du myrte dans les cultes de Vénus
  • Varron, De la langue latine, VI, 20: informations générales sur les rituels de purification romains
  • Calendriers romains (Fasti Praenestini): mentions des célébrations du 1er avril
  • Plutarque, Questions romaines: informations sur Fortuna Virilis et son temple attribué à Servius Tullius
  • Calendrier de Filocalus (354 apr. J.-C.) : première mention du terme Veneralia
  • Saint Augustin, Sermon sur Marie et Marthe (393 apr. J.-C.): référence aux «banquets de Vénus»
  • Jean Lydus, De Mensibus (VIe siècle): indication que les femmes de rang supérieur honoraient Aphrodite le 1er avril «pour atteindre la concorde et une vie modeste»

 

Dates

avril 1, 2024 Toute la journée

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