Cet événement se répètejuin 11, 2025
202411juinToute la journéeRepeating EventMatraliaType:Fête romaine
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Ante diem tertium idus Iunias EN BREF. Dans la Rome antique, une
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Ante diem tertium idus Iunias

EN BREF. Dans la Rome antique, une fête féminine aux rites déroutants se déroulait le 11 juin: les Matralia. Les mères priaient pour leurs neveux mais jamais pour leurs propres enfants, battaient une esclave avant de la chasser du temple et offraient des galettes à Mater Matuta, déesse de l’aurore. Seules les femmes mariées une fois y participaient.
Les Matralia: rites féminins et mystères de l’aurore dans la Rome antique
Chaque 11 juin, dans la Rome antique, les matrones se rassemblaient au Forum Boarium pour célébrer les Matralia, une fête religieuse exclusivement féminine dédiée à Mater Matuta. Cette cérémonie, aux rites complexes et parfois déroutants, révèle les aspects les plus anciens de la religion romaine et le rôle central des femmes dans la perpétuation de la communauté.
Une déesse aux multiples visages
Mater Matuta était une divinité d’origine italique, antérieure à la fondation de Rome. Son nom associe deux dimensions essentielles: «Mater» évoque la maternité, tandis que «Matuta» se rattache à l’aurore. Cette fonction auroriale est confirmée par Lucrèce, qui évoque Matuta dans ses vers sur les phénomènes célestes: selon les sources italiennes, le poète décrit comment «à une heure déterminée Matuta répand par les régions de l’éther l’aurore rosée et libère la lumière» (De Rerum Natura, V, 656).
Selon l’érudit Verrius Flaccus cité par Festus, la déesse était aussi appelée Mater Matuta pour sa bonté (Mater Matuta ob bonitatem antiqui appellabant). Les sources rapportent plusieurs épithètes liés à ses fonctions maternelles et aurorales.
Les Romains identifièrent progressivement Mater Matuta à la déesse grecque Ino-Leucothée. Cicéron confirme cette assimilation (De Natura Deorum, III, 48), et Ovide développe longuement le mythe grec pour expliquer les rites romains.
Le temple du Forum Boarium
Selon la tradition rapportée par Tite-Live (V, 19, 6), le roi Servius Tullius fit édifier le temple de Mater Matuta au Forum Boarium, près de la porte Carmentalis, au 6e siècle avant notre ère. Détruit en 506 avant notre ère, il fut reconstruit par Marcus Furius Camillus en 396 avant notre ère, comme le raconte Plutarque (Vie de Camille, 5).
Un incendie ravagea le sanctuaire en 213 avant notre ère, mais il fut immédiatement reconstruit l’année suivante avec le temple voisin de Fortuna (Tite-Live, XXV, 7, 6). En 196 avant notre ère, deux arcs furent ajoutés devant les deux temples.
Les fouilles archéologiques ont révélé l’ancienneté du site avec des terres cuites architecturales remontant au 6e siècle avant notre ère. Le temple était situé à côté de celui de Fortuna, formant ce que les archéologues appellent les «temples jumeaux du Forum Boarium».
Les rites des Matralia: entre dévotion et exclusion
La fête était strictement réservée aux femmes libres et plus précisément aux univirae, c’est-à-dire aux femmes mariées une seule fois, comme le précise Tertullien (De Monogamia, XVII, 3). Ovide s’adresse directement à elles: «Allez, bonnes mères (les Matralia sont votre festival), et offrez à la déesse thébaine les gâteaux jaunes qui lui sont dus» (Fastes, VI, 475-476).
Les participantes se rendaient au temple pour accomplir plusieurs gestes rituels. Elles couronnaient de guirlandes la statue de Mater Matuta et lui offraient des galettes spécialement préparées. Ovide mentionne l’offrande de «galettes jaunes» et évoque dans son récit mythologique les galettes préparées par Carmenta (Fastes, VI, 531-532).
Le mystère des neveux et nièces
L’aspect le plus singulier des Matralia concernait les prières adressées à la déesse. Contrairement à ce qu’on pourrait attendre, les mères ne priaient pas pour leurs propres enfants, mais pour ceux de leurs sœurs. Plutarque s’interroge sur cette coutume dans ses Questions romaines (17): «Pourquoi les femmes implorent-elles cette déesse non pour leurs enfants mais pour ceux de leurs sœurs?»
Cette pratique énigmatique interpellait déjà les Anciens. Ovide pose la question fondamentale qui structure tout son développement: «Qui est cette déesse? Pourquoi écarte-t-elle ses servantes du seuil du temple – car elle les écarte – et pourquoi exige-t-elle des gâteaux grillés?» (Fastes, VI, 479-482). Pour lui, cette déesse «personnellement elle paraît avoir été une mère peu heureuse. Vous lui confierez plus sagement les rejetons d’une autre mère: elle fut plus utile à Bacchus qu’à ses propres enfants» (Fastes, VI, 561-562). Ino avait en effet élevé son neveu Dionysos après la mort de sa sœur Sémélé, mais ses propres fils avaient connu un sort tragique.
L’expulsion rituelle de l’esclave
Un autre rite marquait la cérémonie: l’introduction puis l’expulsion violente d’une esclave. Plutarque décrit cette pratique (Vie de Camille, 5, 2) et Ovide l’évoque également (Fastes, VI, 551). Une femme esclave était exceptionnellement introduite dans le temple, normalement interdit aux personnes de condition servile, puis chassée par les matrones qui la frappaient.
Ovide tente d’expliquer cette pratique par une légende impliquant une servante qui aurait trompé Ino (Fastes, VI, 551-558), concluant que «voilà pourquoi la classe des servantes est l’objet de sa haine».
Une fête dans le calendrier romain
Les Matralia se déroulaient le 11 juin, en pleine période des célébrations dédiées à Vesta (du 9 au 15 juin). Cette date n’était pas anodine: le mois de juin était placé sous la protection de Junon selon Ovide, et plusieurs fêtes à caractère féminin s’y concentraient.
La proximité avec le solstice d’été donnait une dimension cosmique à la célébration. Dix jours avant que les jours n’atteignent leur durée maximale, les femmes romaines célébraient la déesse de l’aurore.
Le temple voisin de Fortuna
À côté du sanctuaire de Mater Matuta se dressait le temple de Fortuna, également attribué à Servius Tullius. Ce temple abritait une statue mystérieuse, entièrement voilée de toges, qu’il était interdit de découvrir. Ovide évoque cette interdiction et l’avertissement de la déesse (Fastes, VI, 619-620).
Les sources antiques divergent sur l’identité de cette statue: représentait-elle le roi Servius Tullius, la déesse Fortuna elle-même, ou Pudicitia selon Festus? Cette incertitude révèle probablement l’ancienneté de cette image, décrite par Denys d’Halicarnasse comme un objet de bois de facture archaïque (IV, 40, 7).
L’évolution du culte
Au fil des siècles, le culte de Mater Matuta évolua. L’assimilation avec Ino-Leucothée s’accompagna d’une extension de ses attributions: déesse terrestre de l’aurore et de la maternité, elle devint aussi une divinité marine protectrice des ports.
Son «fils» Mélicerte-Palémon fut identifié au dieu romain Portunus, protecteur des ports. Ovide évoque cette transformation dans son récit où la prophétesse annonce à Ino et Mélicerte leur nouveau statut divin et leurs nouveaux noms (Fastes, VI, 543-547).
Les témoignages archéologiques
Au-delà de Rome, le culte de Mater Matuta était répandu dans toute l’Italie centrale. À Satricum, Tite-Live mentionne son temple (V, 19, 6), et les fouilles ont révélé de nombreux objets votifs. À Capoue, le site de Fondo Patturelli a livré des statues votives témoignant de la popularité de la déesse en Campanie.
Ces découvertes confirment que Mater Matuta était vénérée par les hommes comme par les femmes, contrairement aux Matralia romaines qui excluaient la gent masculine.
Les liens avec d’autres divinités
Mater Matuta partageait plusieurs caractéristiques avec d’autres déesses méditerranéennes. Sa proximité avec Fortuna dans le culte romain s’explique par leurs domaines d’action complémentaires et la contiguïté de leurs temples au Forum Boarium.
Les sources rapportent aussi son association avec la Bona Dea, suggérant des recoupements entre différents cultes féminins de la religion romaine.
Un héritage durable
Les Matralia témoignent de la capacité de la religion romaine à préserver des traditions très anciennes tout en les adaptant aux évolutions de la société. Les rites apparemment incompréhensibles aux Romains eux-mêmes conservaient la mémoire de croyances très anciennes.
Cette fête révèle aussi l’importance des femmes dans la religion romaine: loin d’être cantonnées aux cultes domestiques, elles avaient leurs propres célébrations publiques, leurs propres temples, leurs propres rituels. Les Matralia constituaient un moment où s’exprimait pleinement la religiosité féminine, avec ses codes, ses exclusions et ses solidarités spécifiques.
Sources antiques
- Cicéron, De Natura Deorum, III, 48
- Festus, De Verborum Significatu, s.v. «Mater Matuta ob bonitatem antiqui appellabant»
- Ovide, Fastes, VI, 469-648
- Plutarque, Vies parallèles, Vie de Camille, 5 ; Questions romaines, 17
- Tertullien, De Monogamia, XVII, 3
- Tite-Live, Ab Urbe Condita, V, 19, 6 ; XXV, 7, 6
Dates
Juin 11, 2024 Toute la journée