Cet événement se répètemai 9, 2025
202409maiToute la journée13Repeating EventLemuriaType:Fête romaine
Description
Ante diem septimum Idus Maias - Ante diem tertium Idus Maias Mosaïque provenant de Pompéi (Museo Archeologico
Description
Ante diem septimum Idus Maias – Ante diem tertium Idus Maias

Entre les 9 et 13 mai dans le calendrier romain, une fête religieuse particulière se déroulait dans toutes les maisons romaines: les Lemuria. Ces célébrations, marquées par des rituels nocturnes, visaient à apaiser et à éloigner les esprits potentiellement dangereux des défunts. A partir des textes antiques, notamment ceux d’Ovide, nous pouvons reconstituer cette cérémonie et comprendre comment les Romains concevaient leur relation aux morts.
Les Lemuria comptent parmi les fêtes les plus anciennes du calendrier romain. Leur ancienneté est attestée par le fait qu’elles étaient marquées en lettres majuscules dans les calendriers officiels (les Fasti). Selon la tradition rapportée par Ovide dans ses Fastes, cette fête aurait été instituée par Romulus pour apaiser l’esprit de son frère jumeau Remus.
Le poète nous livre un récit détaillé de l’apparition de l’ombre de Rémus à ses parents adoptifs, Faustulus et Acca:
«Ils crurent voir se dresser près de leur lit l’ombre sanglante de Rémus qui murmurait faiblement […]: « C’est moi l’autre partie, la moitié de vos vœux, voyez ce que je suis, moi qui naguère étais celui que vous savez! […] Maintenant je suis un fantôme vain, échappé aux flammes du bûcher: voilà tout ce qui reste de l’illustre Rémus »» (Fastes, V, 457-464).
Le spectre demande alors à ses parents d’intervenir auprès de Romulus pour obtenir l’institution d’une fête en son honneur. Romulus accepte et «appelle Remuria ce jour-là, où les aïeux défunts reçoivent les offrandes qui leur sont dues» (Fastes, V, 479-480).
Le poète indique que la fête s’appelait initialement Remuria, avant d’évoluer phonétiquement vers Lemuria: «La lettre dure qui était l’initiale du mot, se transforma au fil du temps en lettre douce» (Fastes, V, 481-482). Le philosophe Porphyre, dans ses commentaires sur les Épîtres d’Horace (II, 2, 208-209), confirme cette origine en soulignant que la mort de Remus était violente, prématurée et un sujet de regret pour Romulus. Servius, dans son Commentaire sur l’Énéide (I, 276), rapporte également cette tradition.
Qui étaient les Lemures?
Les Lemuria étaient destinées à apaiser et à repousser des esprits particuliers appelés lemures ou larvae. Il s’agissait des «ombres errantes des hommes morts avant leur temps et donc redoutables». Perse, dans ses Satires (V, 185), et Horace, commenté par Porphyre, évoquent ces esprits qui vagabondent la nuit.
Les Romains différenciaient plusieurs catégories d’esprits des morts:
- Les Dii Manes ou Parentes: les âmes des défunts ayant eu une vie complète et une descendance, généralement bienveillantes.
- Les Lemures: les âmes des personnes mortes prématurément ou violemment.
- Les Larvae: des esprits particulièrement malveillants et dangereux.
Selon l’historienne J.M.C. Toynbee, les lemures étaient des esprits rendus nuisibles et malveillants envers les vivants parce que sans parenté et négligés dans la mort, n’ayant pas reçu les rites funéraires appropriés. Ils étaient libres de quitter leur corps mais incapables d’entrer dans le monde souterrain.
Une interprétation plus tardive, rapportée par Apulée dans son traité Sur le dieu de Socrate (cité par Saint Augustin, Cité de Dieu, IX, 11), suggère que les Lemures étaient les esprits de ceux qui avaient été mauvais durant leur vie, par opposition aux Lares, esprits protecteurs issus d’ancêtres vertueux. Varron, dans son De Lingua Latina (IX, 61), identifiait quant à lui ces derniers comme les gardiens du foyer.
Le rituel nocturne des Lemuria
La description détaillée du rituel nous est transmise par Ovide dans ses Fastes (V, 419-493). Selon Ovide, le rituel se déroule «lorsque la nuit à demi passée déjà assure un sommeil silencieux, lorsque vous, chiens et oiseaux de toutes races, vous vous êtes tus» (Fastes, V, 429-430). Le chef de famille se lève alors et commence une série de gestes rituels précis.
Le chef de famille effectuait ensuite plusieurs gestes rituels:
- Il se levait pieds nus («sans porter aucune entrave à ses pieds», Fastes, V, 432) et faisait un geste de protection spécifique: «De son pouce placé entre ses doigts joints, il fait un signe, pour ne rencontrer, dans sa marche silencieuse, aucune ombre légère» (Fastes, V, 433-434).
- Il se lavait les mains trois fois dans une eau pure de source.
- Il prenait des fèves noires dans sa bouche, puis les jetait derrière lui sans se retourner, en prononçant neuf fois la formule rituelle: Haec ego mitto; his redimo meque meosque fabis (Je jette ces fèves et avec elles je me rachète, moi et les miens). Ovide donne cette formule en ces termes: «Je vous offre ces fèves; avec elles, je me rachète moi et les miens» (Fastes, V, 438).
- Ovide précise: «Il prononce ceci neuf fois, sans regarder en arrière: l’ombre est censée ramasser les fèves et suivre ses pas, sans être vue» (Fastes, V, 439-440).
- Ensuite, «à nouveau il touche l’eau et fait retentir le bronze de Témèse puis demande à l’ombre de quitter son toit» (Fastes, V, 441-442). Le chef de famille répétait neuf fois: Manes exite paterni! (Mânes de mes pères, sortez!).
- À la fin du rituel, «il regarde derrière lui et considère que les rites sont accomplis selon les règles» (Fastes, V, 444).
Varron, cité par Nonius Marcellus dans son De compendiosa doctrina (135, 13), confirme que les lemures devaient être expulsés des maisons avec des fèves, à travers la porte.
Le symbolisme du rituel
Chaque composante du rituel possédait une signification symbolique:
- Minuit: Moment où la frontière entre le monde des vivants et celui des morts est la plus mince.
- Le silence: État propice à la communication avec l’au-delà.
- Les pieds nus: Contact direct avec les forces souterraines.
- Le lavage des mains: Purification nécessaire avant et après le contact avec les morts.
- Les fèves noires: Offrande destinée aux divinités du monde souterrain et nourriture pour les esprits affamés.
- Le nombre neuf: Symbolise la fin d’un cycle et le début d’un autre.
- Les objets de bronze: Le bruit du métal était réputé pour éloigner les mauvais esprits.
Restrictions et cérémonies publiques
Durant les Lemuria, plusieurs restrictions s’appliquaient, comme le rapporte Ovide: «Ces jours-là cependant, nos ancêtres fermaient les sanctuaires, comme on les voit fermés de nos jours en période funèbre» (Fastes, V, 485-486). Aucun mariage n’était célébré.
Cette interdiction des mariages s’étendait même à tout le mois de mai, comme l’exprime le proverbe rapporté par Ovide: «Durant cette même période, ni une veuve ni une jeune fille ne devaient songer aux torches nuptiales: celle qui s’est mariée alors n’a pas la vie longue. C’est pour cette raison aussi, si tu tiens compte des proverbes, que le peuple dit que les malheureuses se marient en mai» (Fastes, V, 487-490). Ce dicton est également cité par Érasme dans ses Adagia: mense Maio malae nubent (celles qui se marient en mai se marient mal).
Ovide confirme également que les trois jours de fête ne se suivaient pas: «Cependant ces trois jours de fête ont lieu dans la même période, sans qu’aucun d’eux toutefois ne suive immédiatement le précédent» (Fastes, V, 491-492).
Outre le rituel domestique, des cérémonies publiques avaient lieu durant cette période:
- Le 11 mai (deuxième jour), des jeux étaient organisés dans le cirque en l’honneur de Mars, selon Ovide (Fastes, V.597).
- Le 13 mai (troisième jour), avait lieu la cérémonie des Argei, décrite par Ovide (Fastes, V.621) et Festus. Lors de cette cérémonie, les Vestales jetaient dans le Tibre trente mannequins de jonc depuis le pont Sublicius, possible substitut d’anciens sacrifices humains.
- Le même jour se tenait également une fête des marchands (festum mercatorum), mentionnée par Ovide (Fastes, V.670) et liée à la dédicace du temple de Mercure en 495 av. J.-C. (Tite-Live, II.21). Les marchands s’aspergeaient d’eau de la fontaine de Mercure avec une branche de laurier pour favoriser leurs affaires.
Servius (Eclogues, VIII, 82) note également que pendant les Lemuria, les Vestales recueillaient du blé pas encore mûr pour préparer la mola salsa, farine rituelle utilisée lors des sacrifices.
Les Lemuria et les Parentalia: deux approches distinctes des morts
Une distinction fondamentale existait entre les Lemuria (mai) et les Parentalia (février), autre fête romaine dédiée aux morts:
- Les Parentalia se déroulaient dans les nécropoles, hors de la ville, et honoraient les morts «acceptables» qui avaient eu une vie complète et une descendance.
- Les Lemuria se déroulaient dans les maisons, à l’intérieur de la ville, et visaient à expulser les morts «problématiques» qui cherchaient à revenir parmi les vivants.
Cette opposition reflète la conception romaine de la frontière nécessaire entre le monde des vivants et celui des morts. Les Dii Parentes, satisfaits d’avoir pleinement vécu et laissé une descendance, acceptaient de rester en dehors des limites de la ville. Les Lemures, n’ayant pas pleinement vécu, revenaient périodiquement à l’intérieur de la cité pour réclamer la part de vie qui leur avait été refusée, créant ainsi une dangereuse confusion entre les deux mondes.
Héritage des Lemuria
La fête des Lemuria a laissé des traces dans l’histoire. Certains chercheurs estiment qu’elle aurait possiblement inspiré la création de la fête chrétienne de la Toussaint. Le pape Boniface IV aurait reconsacré le Panthéon à la Vierge Marie et à tous les martyrs le 13 mai 609 ou 610, date qui coïncide avec le dernier jour des Lemuria. Cette fête, appelée dedicatio Sanctae Mariae ad Martyres, est considérée comme l’origine de la Toussaint, bien que cette théorie reste discutée.
Le terme «Lémures» a également survécu dans les mythes romains pour désigner des âmes tourmentées incapables de trouver le repos après une mort tragique ou violente.
Sources antiques
- Apulée, De Deo Socratis (Sur le dieu de Socrate), XV.
- Augustin (Saint), De Civitate Dei (La Cité de Dieu), IX, 11.
- Festus (Sextus Pompeius), De verborum significatione (Sur la signification des mots), 128.
- Horace, Epistulae (Épîtres), II, 2, 208-209.
- Nonius Marcellus, De compendiosa doctrina (De la doctrine abrégée), 135, 13.
- Ovide, Fasti (Les Fastes), V, 419-493; V, 597; V, 621; V, 670; VI, 219-234.
- Perse, Satirae (Satires), V, 185.
- Porphyre, Commentarii in Horatii Epistulas (Commentaires sur les Épîtres d’Horace), II, 2, 208-209.
- Servius (Marius Servius Honoratus), In Vergilii Bucolicon librum (Commentaire sur les Bucoliques de Virgile), VIII, 82.
- Servius, In Vergilii Aeneidos libros (Commentaire sur l’Énéide de Virgile), I, 276.
- Tite-Live, Ab Urbe condita (Histoire romaine), II, 21.
- Varron, De Lingua Latina (De la langue latine), IX, 61.
- Varron, Vita populi Romani (Vie du peuple romain), fragment cité par Nonius 135, 13.
Études modernes
- Champeaux, Jacqueline, La religion romaine, Livre de poche, 1998.
- Déchaux, Jean-Henri, Le Souvenir des morts, PUF, 1997.
- Dumézil, Georges, La religion romaine archaïque.
- Schmitz, Leonhard, article «Lemuralia» dans William Smith, A Dictionary of Greek and Roman Antiquities, John Murray, Londres, 1875.
- Toynbee, J.M.C., Death and Burial in the Roman World, Johns Hopkins University Press, 1971, 1996.
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Dates
Mai 9, 2024 - mai 13, 2024 (Toute la journée)