
Deux passions chères à Nunc est bibendum –le repas et le jeu– se rencontrent sur une pierre vieille de vingt-cinq siècles: la stèle Peruzzi, aujourd’hui conservée à la Villa Corsini a Castello, près de Florence.
Datée de la fin du 6ᵉ ou du début du 5ᵉ siècle avant notre ère, cette stèle funéraire en pierre grise d’arkose provient de Varlungo, à l’est de la capitale toscane. Elle appartient à la série dite des stèles fiesolanes, monuments funéraires caractéristiques de l’aristocratie étrusque de Fiesole. Sur sa surface trapézoïdale se déploient deux scènes sculptées où s’expriment la culture et les valeurs d’une société raffinée, hiérarchisée, profondément attachée au plaisir de bien vivre.
Le banquet: hiérarchie et convivialité
Dans la partie supérieure, un banquet: deux hommes, allongés sur une klinè, lèvent leurs coupes, servis par un échanson debout.
Le vin, la convivialité et la hiérarchie sociale s’y confondent, car boire ensemble, c’est plus que partager un repas: c’est affirmer son rang, célébrer l’appartenance à une élite et perpétuer un art de vivre où le vin est aussi symbole de maîtrise et de mesure.
Ce type de scène est fréquent dans l’art funéraire étrusque: il renvoie au symposion, le banquet grec adopté et adapté par les aristocraties étrusques, qui y voyaient l’expression de leur prestige, de leur culture et de leur appartenance à un cercle d’hommes libres.
Le dernier coup du joueur
En dessous, un jeu de société: deux jeunes gens assis face à face, séparés par une table à trois pieds sur laquelle repose une tablette.
L’un d’eux tend la main –pour lancer un dé? Prendre un pion? Le geste demeure énigmatique.
Selon Petra Amann, archéologue et historienne de l’art étrusque, il s’agit de la seule scène connue de jeu dans l’ensemble des stèles fiesolanes, un corpus d’environ trente monuments retrouvés dans la région de Fiesole, au nord-est de Florence.
Le personnage barbu, légèrement plus grand, représenterait sans doute le défunt lui-même, opposé à un adversaire ou compagnon de jeu.
Ce face-à-face figé devient plus qu’un simple divertissement: une métaphore du rang, de la maîtrise et du destin.
Dans la culture étrusque, le jeu n’était pas un passe-temps anodin, mais un signe de distinction, un exercice de stratégie et de mesure, où la chance devait toujours être tenue sous contrôle.
Ici, la partie semble suspendue, comme si le joueur, au seuil de la mort, jouait son dernier coup contre le sort.
Taillées dans l’arkose grise locale, ces stèles fiesolanes présentent presque toujours deux registres superposés: banquets, cortèges, conversations –autant de fragments sculptés de la vie idéale des élites masculines.
L’idéal aristocratique étrusque
Ces deux images, l’une du banquet, l’autre du jeu, condensent un même idéal: jouer, banqueter, se mesurer dans le plaisir autant que dans la pensée.
Chez les Étrusques, ces gestes n’étaient pas de simples divertissements: ils exprimaient un statut, une éducation, une culture du loisir noble où la mesure, la stratégie et la parole définissaient le prestige.

Sources et références
Petra Amann, Le pietre fiesolane: repertorio iconografico e strutture sociali, in Cippi, Stele, Statue–Stele e Semata. Testimonianze in Etruria, nel mondo italico ed in Magna Grecia dalla prima Età del ferro fino all’Ellenismo, éd. S. Steingräber, Pisa, ETS, 2018, p. 63–79.
Danza e banchetto sulle stele funerarie felsinee, in Studi Etruschi (2014).
L’ombra degli Etruschi. Simboli di un popolo tra pianura e collina, dir. Paola Perazzi, Gabriella Poggesi, Susanna Sarti, Edifir, Firenze, 2016.
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